mardi 8 juillet 2008

Un Don du dhamma

Cet enseignement de Ajahn Chah a été donné devant une assemblée de moines occidentaux, de novices et de laïcs au monastère de Bung Waï Forest, province d’Ubon (Thaïlande), le 10 octobre 1977.
Cet enseignement était offert aux parents des moines à l’occasion de leur venue depuis la France.
Merci à isara pour sa traduction.


« A Gift of Dhamma »


Il n'y a peu de dhamma en France...

Je suis heureux que vous ayez saisi cette opportunité de venir visiter Wat Pah Pong et de venir voir votre fils qui a été ordonné moine, ici. Je suis cependant désolé de n’avoir aucun cadeau à vous offrir. Il y a en France, tant d’objets matériels, mais du Dhamma, il y en a vraiment peu.

J’ai eu l’occasion d’aller là-bas et de voir par moi-même : il n’y a aucun Dhamma, là-bas, qui puissent vous conduire vers la paix et la tranquillité. Il n’y a que des choses qui sèment la confusion et le trouble dans les esprits.

La France connaît une prospérité matérielle, il y a à offrir tant de choses si attirantes pour les sens : des sons, des spectacles, des senteurs, des goûts, des textures. Toutefois, les gens qui sont ignorants du Dhamma ne peuvent être qu’embrouillés par cela. Aussi, aujourd’hui, j’aimerais vous offrir quelques enseignements sur le Dhamma, que vous pourrez ramener en France avec vous. Un cadeau du Wat Pah Pong et du Wat Pah Nanachat.


Les problèmes sont les mêmes partout

Qu’est-ce que le Dhamma ? Dhamma, c’est ce qui peut réduire les problèmes et les difficultés de l’humanité, et graduellement les faire disparaître. C’est cela que l’on appelle le Dhamma et qui doit être étudié tout au long de notre vie quotidienne afin d’être en capacité, chaque fois qu’une impression survient en nous, de l’observer, de savoir comment la traiter, pour avancer plus avant.

Les problèmes sont les mêmes que nous vivions en Thaïlande ou dans n’importe quel autre pays. Si nous ne savons pas comment les résoudre, nous serons en permanence sujets à la souffrance et à la détresse. Et pour acquérir cette sagesse, nous devons développer et entraîner l’esprit.

L’objet de la pratique n’est pas bien éloigné : c’est juste là dans notre corps et notre esprit. Occidentaux et thaïs sont semblables, ils ont, les uns et les autres, un corps et un esprit. Un corps et un esprit confus font une personne perdue dans la confusion. Un corps et un esprit apaisés, c’est une personne qui est en paix.


Apaiser l'esprit pour apaiser le corps

De fait, l’esprit, tout comme l’eau de pluie, est pur naturellement. Si vous laissez tomber une goutte de colorant vert dans de l’eau de pluie, aussitôt elle se teindra en vert. Avec un colorant jaune, elle se teindra en jaune.
L’esprit réagit exactement de la même manière. Quand une impression de bien-être « tombe » dans l’esprit, l’esprit est bien. Quand c’est une impression d’anxiété, l’esprit est anxieux. L’esprit se « teinte » tout comme l’eau colorée.

Quand l’eau claire entre en contact avec le colorant jaune, elle vire au jaune. Quand elle entre en contact avec le colorant vert, elle vire au vert. Elle change de couleur à chaque fois. Mais en fait, cette eau qui devient soit jaune, soit verte est, naturellement, claire et propre. C’est aussi l’état naturel de l’esprit, propre et clair et serein. Il devient confus seulement parce qu’il poursuit des impressions mentales ; il se perd dans ses propres humeurs.

Laissez-moi vous expliquer plus précisément. Maintenant, vous êtes assis dans une forêt paisible. Ici, il n’y a pas de vent, la feuille reste immobile dans l’arbre. Quand le vent se met à souffler, la feuille s’agite. L’esprit est semblable à cette feuille. Quand il rencontre une impression mentale, lui aussi s’agite suivant la nature de cette impression mentale. Et moins nous connaissons le Dhamma, plus notre esprit sera à la poursuite de ces impressions mentales.
Ressentant la joie, l’esprit se sentira joyeux, ressentant la souffrance, il succombera à la souffrance. Toujours dans un état de confusion.

Finalement, les gens deviennent névrosés. Pourquoi ? Parce qu’ils suivent sans cesse leurs humeurs et ne sont pas capables de voir au-delà de l’agitation de leur esprit. Quand l’esprit n’a personne pour veiller sur lui, il est comme un enfant sans mère, ni père pour prendre soin de lui. Un orphelin n’a aucun refuge et sans refuge, il est en danger.
De même, si personne ne prend soin de l’esprit, s’il n’est pas entraîné ou mené à maturation de caractère grâce à une compréhension juste, il est réellement dans la confusion.

La méthode pour entraîner l’esprit, c’est cela que je vous donne aujourd’hui.
C’est « kammatthana » : kamma veut dire « action » et « thana » signifie la base, le fondement. Dans le bouddhisme, c’est la méthode pour rendre l’esprit tranquille et apaisé. C’est à vous d’entraîner l’esprit, puis avec cet esprit entraîné, d’examiner le corps.

Notre être est composé de deux parties : l’un est le corps ; l’autre, l’esprit. Il n’y a que cela. Ce que nous appelons « le corps », c’est ce que nous pouvons voir avec nos yeux organiques. « L’esprit », de l’autre coté, n’a pas d’aspect physique. L’esprit ne peut être vu qu’avec nos « yeux de l’intérieur » ou nos « yeux de l’esprit ». Ces deux composantes, le corps et l’esprit, sont en permanente mutation.

Qu’est-ce que l’esprit ? L’esprit n’a aucune véritable réalité. Conventionnellement parlant, c’est ce qui ressent, qui expérimente. C’est ce qui sens, reçoit, et expérimente toutes les sensations mentales, c’est cela que nous appelons « l’esprit ». Là, maintenant, il y a l’esprit. Comme je suis en train de vous parler, l’esprit reconnaît ce que je suis en train de dire. Des sons entrent par l’oreille et vous savez ce qui est en train d’être dit. Ce qui fait l’expérience de ceci est appelé « esprit ».

Cet esprit n’a aucune entité, aucune substance. Il n’a aucune forme. Il fait seulement l’expérience des activités mentales, c’est tout ! Si vous instruisez cet esprit pour qu’il ait une juste vue des choses, il ne rencontrera aucun problème. Il sera tranquille.

L’esprit est l’esprit. Les objets mentaux sont les objets mentaux. Les objets mentaux ne sont pas l’esprit et l’esprit n’est pas les objets mentaux. Afin d’avoir une claire compréhension de notre esprit et des objets mentaux de notre esprit, nous disons que l’esprit c’est ce qui perçois les objets mentaux qui apparaissent en lui.

Quand deux choses, l’esprit et les objets de l’esprit entrent en contact l’un avec les autres, ils donnent naissance aux sensations. Certaines sont agréables, d’autres mauvaises, certaines froides, d’autres chaudes, ainsi de suite !

Sans la sagesse pour traiter ces sensations, l’esprit restera dans la confusion.
La méditation est la voie pour développer l’esprit, pour qu’il devienne une base sur laquelle croîtra la sagesse.


Anapanasati ou l'Attention à la respiration

La respiration est le support physique pour développer l’esprit. Nous appelons cela « anapanasati » ou « pleine conscience de la respiration ». Nous prenons notre respiration pour objet mental. Nous prenons cet objet parce qu’il est simple et parce qu’il est le cœur de la méditation depuis des temps immémoriaux.

Quand l’occasion se présente de s’asseoir en méditation, asseyez-vous, les jambes croisées : pied droit sur la cuisse gauche, main droite au-dessus de la main gauche. Maintenez votre dos droit et ferme. Dites en vous-même : « Maintenant, je laisse aller tous mes soucis, toutes mes inquiétudes. » Vous ne devez rien vouloir qui pourrait vous causer du tracas. Laissez de coté toutes vos inquiétudes pour le moment.

Maintenant fixez votre attention sur la respiration, n’essayez pas de rendre votre respiration plus longue ou plus courte. Pas plus que vous devez la rendre forte ou légère. Laissez-la couler normalement et naturellement. La pleine conscience et l’attention vont croître dans votre esprit, et se concentrer sur l’inspiration et l’expiration.

Soyez à l’aise. Ne pensez à rien. Inutile de penser à ceci ou cela. La seule chose que vous ayez à faire, c’est de fixer votre attention sur le va et vient de votre respiration. Vous n’avez rien d’autre à faire, que cela ! Gardez votre pleine conscience focalisée sur le va et vient du souffle quand il se produit. Soyez attentif au début, au milieu et à la fin de chaque respiration. Lors de l’inspiration suivez d’abord le souffle à l’extrémité du nez, le milieu de l’inspiration au niveau du cœur et la fin, dans l’abdomen. Lors de l’expiration, suivez le chemin inverse : le début de l’expiration dans l’abdomen, le milieu au niveau du cœur et la fin à l’extrémité du nez.

Développez cette attention à la respiration :
1- bout du nez, 2 - niveau du cœur, 3 - dans l’abdomen.
Et au retour : 1 – dans l’abdomen, 2 – niveau du cœur, 3 – bout du nez.
Focaliser sur ces trois points permet de vous délivrer des soucis. Ne pensez à rien d’autre. Gardez votre attention sur la respiration.

Peut-être d’autres pensées vont vous traverser l’esprit. Elles risquent de vous distraire. Ne vous en souciez pas. Ramenez votre attention sur la respiration à nouveau. Votre esprit peut être tenté de juger ou d’analyser vos humeurs, mais continuez votre pratique, continuez à suivre le début, le milieu et la fin de chaque respiration.

Finalement, l’esprit restera attentif à la respiration à chacun de ces trois stades. Quand vous aurez pratiqué quelques fois, l’esprit et le corps vont s’habituer à ce travail. La fatigue va disparaître. Le corps va se sentir plus léger et la respiration devenir de plus en plus légère. Attention et conscience de soi protègent l’esprit et veillent sur lui.

Nous pratiquons comme cela jusqu’à ce que l’esprit soit calme et en paix, jusqu’à ce qu’il soit unifié. Etre unifié signifie que l’esprit sera complètement focalisé sur la respiration, qu’il ne sera pas séparé de la respiration. L’esprit sera clair et tranquille. Il connaîtra le début, le milieu et la fin du souffle et restera concentré sur lui.

Quand l’esprit est apaisé, nous fixons notre attention sur l’inspiration et l’expiration au niveau des narines seulement. Nous n’avons pas à suivre son cheminement, montant et descendant, dans l’abdomen. Il suffit de se concentrer sur le nez par où le souffle entre et sort.
Ceci s’appelle « calmer l’esprit », le rendre calme et apaisé. Quand la tranquillité apparaît, l’esprit s’arrête ; il s’arrête sur un seul objet, la respiration. C’est rendre l’esprit apaisé afin que la sagesse puisse apparaître.

C’est le début, le fondement de notre pratique. Vous devez essayer de pratiquer de la sorte chaque jour, où que vous soyez. Que ce soit à la maison, dans une voiture, étendu ou assis, vous devez être pleinement attentif et surveiller votre esprit en permanence.

Ceci s’appelle « l’entraînement mental » qui peut être pratiqué dans toutes les positions. Pas seulement en étant assis, mais debout, en marchant ou couché, tout aussi bien. L’objectif est de pouvoir savoir quel est l’état de l’esprit à chaque moment. Et pour être capable de le faire, nous devons être en permanence conscient et attentif. L’esprit est-il heureux ou souffrant ? Connaît-il la confusion ? Est-il en paix ? Apprendre à connaître l’esprit de la sorte, lui permet de devenir tranquille et lorsqu’il sera tranquille, la sagesse apparaîtra.


L'observation du corps

Avec cet esprit apaisé, observez cet objet de médiation qu’est le corps… depuis le sommet du crâne jusqu’à la plante des pieds et revenir jusqu’au sommet du crâne. Faites ceci encore et encore. Regardez et voyez les cheveux sur la tête, les poils du corps, les ongles, les dents et la peau. Durant cette méditation, vous verrez que toutes ces parties du corps sont composées de quatre éléments : terre, eau, feu, air.

Les parties solides du corps sont composées d’éléments « terre », les substances liquides sont composées d’éléments « eau ». Tous les vents qui traversent le corps sont des éléments « air » et la chaleur de notre corps est l’élément « feu ».

Pris ensemble, ils composent ce que nous nommons « être humain ». Cependant, quand le corps se décompose, seuls ces quatre éléments subsistent. Le Bouddha dit qu’il n’y avait aucun « être » en soi, pas d’humain, pas de thaï, ni d’occidental, personne, mais seulement ces quatre éléments… et rien d’autre ! Nous sommes convaincus qu’il y a une personne, un « être », mais en réalité, il n’y a rien de la sorte.

Que l’on prenne séparément ces éléments, terre, eau, air et feu, ou qu’on les prenne ensemble dans ce que nous désignons sous l’appellation d’ « être humain », ils sont tous impermanents, sujets à la souffrance et sans identité propre. Ils sont instables, impermanents et dans un état constant de changement… rien de stable, ne serait-ce qu’un instant !

Notre corps est instable, il se dégrade et change en permanence. Les cheveux changent, les ongles changent, les dents et la peau de même… tout, absolument tout change.
Notre esprit aussi change continuellement. Il ne possède ni soi, ni substance. Il n’est pas réellement « nous », pas réellement « eux », bien qu’il le pense. Peut-être pensera-t-il se tuer lui-même, peut-être pensera-t-il au bonheur ou à la souffrance… ou à tout autre sorte de chose ! Il est instable.

Si nous n’avons pas la sagesse et que nous considérons cet esprit comme étant notre, il nous mentira sans cesse. Et nous passerons en permanence du bonheur à la souffrance.


Observer le corps et l'esprit

Cet esprit est impermanent. Ce corps est impermanent. Ensemble, ils sont impermanents. Ensemble, ils sont source de souffrance. Ensemble, ils sont dépourvus d’un « soi ». Ceux-ci, ce corps et cet esprit, le Bouddha l’a montré, ne sont ni un être, ni une personne, ni un « soi », ni une âme, ni « nous », ni « eux ». Ils ne sont que de simples éléments : terre, eau, air et feu. Seulement des éléments !

Quand l’esprit verra cela, il se libèrera des attachements qui l’emprisonnent, des pensées comme : « je suis beau », « je suis bon », « je suis mauvais », « je souffre », « je possède », « je » ceci, « je » cela. Vous expérimenterez un état où vous pourrez voir que toute l’humanité est semblable par essence. Il n’y a pas de « je », il n’y a que des éléments.

Quand vous voyez l’impermanence, la souffrance et le non-soi, il n’y a plus d’attachement à un soi, un être, je, il ou elle. L’esprit qui voit cela donnera naissance à « nibbida », le désenchantement et la cessation des passions. Il verra toute chose comme étant impermanente, cause de souffrances et sans « soi » propre.

L’esprit alors s’arrêtera. L’esprit est Dhamma. L’avidité, la détestation, l’illusion diminueront et reculeront petit à petit, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que l’esprit… juste le pur esprit. C’est ce que nous appelons « pratiquer la méditation »

Voilà, je vous demande de recevoir ce cadeau du Dhamma que je vous offre pour que vous puissiez l’étudier et le contempler dans votre vie quotidienne.

S’il vous plaît, acceptez cet enseignement du dhamma venant du Wat Pah Pong et du Wat Pah Nanachat comme un héritage que vous recevriez. Tous les moines ici présents, parmi lesquels se trouve votre fils, et tous les enseignants, vous font offrande de ce Dhamma pour que vous l’emmeniez avec vous en France. Il vous montrera le chemin de la paix de l’esprit, il rendra votre esprit calme et détendu. Votre corps pourra être troublé, mais pas votre esprit. D’autres par le monde pourront être dans la confusion, mais pas vous. Même si la confusion règne dans votre pays, vous ne serez pas dans la confusion vous-même, parce que l’esprit aura vu, l’esprit est Dhamma.

C’est le juste chemin, la vraie Voie.
Puissiez-vous vous souvenir de cet enseignement dans la futur.
Puissiez-vous être en paix et heureux.
Ajahn Chah

Source : Extrait de : « A Gift of Dhamma » Traduction par isara : Vimokkha
Remarque : Les sous titres ne sont pas dans le texte original ni dans la traduction.

Si le dhamma est un don, la traduction du dhamma est également un don. Merci à isara cette nouvelle traduction.


Aucun commentaire: